L’Assemblée nationale a adopté, le 26 mai 2021, une « proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires ».
Cette proposition de loi encadre les cessions de parts de sociétés agricoles, qu’elle soumet désormais à autorisation préalable dans certains cas.
Quels seraient les impacts de cette proposition de loi, dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale et transmise au Sénat?
Le principe : une nouvelle autorisation préalable
La mesure phare de cette proposition de loi est une nouvelle autorisation administrative préalable, délivrée par le Préfet de Région, sur instruction des SAFER.
Cette autorisation :
Devra être préalable, c’est-à-dire qu’elle doit être obtenue avant que l’opération soit réalisée ;
Devra être recueillie si les conditions suivantes sont toutes remplies :
En cas de prise de contrôle au sens des articles L. 233-3 et L 233-4 du code de commerce (c'est-à-dire principalement – mais pas uniquement -, en cas d’acquisition de la majorité des droits de vote et/ou du capital) ;
D’une société qui est propriétaire ou exploite des biens immobiliers à usage ou vocation agricole;
Par une personne (physique ou morale), qui détient déjà, directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des biens de même nature pour une superficie totale excédant le seuil fixé par le SDREA (seuil d’agrandissement significatif, ou seuil de superficie totale après prise de contrôle).
Le rapport relatif à la proposition de loi mentionne que ce dispositif est inspiré de celui mis en place pour l’Autorité de la concurrence dans le cadre du « contrôle des concentrations économiques » : il instaure un contrôle administratif dès lors que l’opération aboutit à conférer à son bénéficiaire la maîtrise d’un foncier agricole au-delà d’un seuil d’agrandissement considéré comme excessif.
Quid en cas de prise de contrôle d’une société par une autre société ?
L’esprit de la proposition de loi, telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale, est d’apprécier la notion de « prise de contrôle » et de dépassement du seuil du SDREA, in fine, par rapport aux personnes physiques qui détiennent les parts de la société acquéreur, que ce soit directement, ou indirectement (par l’intermédiaire d’une ou plusieurs sociétés).
La proposition de loi précise expressément que le régime matrimonial du bénéficiaire de l’opération, ou le fait qu’il soit membre d’une indivision, ou seulement nu-propriétaire ou usufruitier, est indifférent.
Dans quels cas l’obligation d’autorisation préalable ne s’appliquerait pas ?
Le nouvel article L.333-2 III du CRPM prévoirait plusieurs exceptions, en ne soumettant pas à autorisation préalable :
Les opérations réalisées par les SAFER ;
Les opérations réalisées à titre gratuit (donation) ;
Les cessions entre parents ou alliés jusqu’au 3e degré inclus, à condition que l’acheteur s’engage à participer effectivement à l’exploitation et à conserver ses titres pendant au moins 9 ans ;
Les prises de contrôle par des sociétés foncières agricoles agréées entreprise solidaire d’utilité sociale, et satisfaisant les autres conditions posées à l’article 199 terdecies‑0 AB II1. 2° b, 3°, 4° et 5°.du code général des impôts.
Quelles seraient les sanctions en cas de non-respect ?
Ne pas demander d’autorisation préalable expose à une action en nullité de l’opération, laquelle peut être exercée par le Préfet de Région, d’office ou à la demande de la SAFER.
Une telle action se prescrit par 5 ans à compter du jour où l’opération est portée à leur connaissance.
Par ailleurs, le contrevenant s’expose au risque d’une amende, comprise entre 1500 euros (3000 euros en cas de récidive), et 2% du montant de la transaction concernée.
Quelle procédure pour obtenir l’autorisation ?
Les SAFER seraient saisies des demandes d’autorisation ; la formalité étant accomplie par le gérant de la société.
La SAFER devra vérifier la complétude du dossier, et instruira la demande, au nom et pour le compte du Préfet de Région. Elle devra effectuer une sorte de bilan, entre :
D’une part, les éventuelles atteintes portées par l’opération aux objectifs définis à l’article L. 333‑1, appréciés à l’échelle du territoire agricole pertinent, au regard des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des exploitations existantes ;
D’autre part, la contribution de cette même opération au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard des emplois créés et des performances économiques, sociales et environnementales présentés.
Si les avantages du 2° l’emportent sur les inconvénients du 1°, ou si l’opération ne présente que les avantages du 2°, la SAFER en informera le Préfet de Région.
En l’absence de réponse dans un délai restant à fixer par décret, l’opération serait réputée autorisée.
Dans les autres cas, le demandeur est informé par le Préfet de Région (éventuellement par l’intermédiaire de la SAFER) qu’il encourt un refus d’autorisation.
Comment contourner un avis négatif de la SAFER ?
En cas d’avis négatif donné par la SAFER à l’opération, la seule option qui s’ouvre au bénéficiaire pour obtenir l’autorisation est d’accepter de signer une promesse de vente ou de location au bénéfice de la SAFER, avec faculté pour la SAFER de lui substituer un attributaire soumis à un cahier des charges.
Dans ce cas, le bénéficiaire devra prendre l’engagement de :
vendre ou à donner à bail rural à long terme prioritairement à un agriculteur (i) réalisant une installation en bénéficiant des aides à l’installation des jeunes agriculteurs, (ii) réalisant une installation ou (iii) ayant besoin de consolider son exploitation une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique fixé par le SDREA ;
libérer prioritairement, au profit d’un agriculteur répondant à l’une des conditions précédentes (par ordre de priorité), une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique fixé par le SDREA.
Si des engagements sont pris, ils doivent être réalisés dans les 6 mois ; prorogeables une fois de 6 mois supplémentaires.
Conclusion
Le recours à une société a parfois pu être considéré comme un moyen de contourner le risque de préemption, par la SAFER, des biens vendus.
Si cette proposition de loi est bien adoptée, un contrôle administratif sera réinstauré, qui ne prendra certes pas la forme d'un risque de préemption, par la SAFER, des parts cédés, mais aboutira néanmoins à fortement restreindre la liberté contractuelle et le droit de propriété sur les biens agricoles.
L'objectif de ce contrôle est d'affecter, en priorité, les biens agricoles aux demandes d’installation non satisfaites à l'échelle du bassin agricole concerné, et aux besoins de consolidation des exploitations existantes. Une atteinte à ces objectifs ne sera admise qu'avec des contreparties données s'agissant du développement du territoire, de la création d'emplois, et des performances économiques, sociales et environnementales attendues de l'opération.
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